Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Michel en live
Michel en live
  • De la musique au quotidien, des recettes de famille, l'art du massage, des lieux à découvrir, la création d'un album, des amis singuliers, des bons mots, tout ce qui est agréable à tous les étages.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Michel en live
14 septembre 2006

Les Anormaliens

Bon j'emprunte encore le blog de Michel. Merci Michel. Et quand est-ce que je prépare mes cours, moi ?images

Un matin d’octobre 1998, j’ai débarqué à la gare de Pise après une nuit de voyage. En France, il faisait déjà froid mais en Toscane, même sous le pâle soleil du matin, j’ai pu ôter ma veste, surprise part la douceur de l’air. Voilà, j’y étais ! En Italie pour six mois dans ce pays qui m’avait toujours attirée. J’allais étudier dans la prestigieuse Scuola Normale Superiore fondée par Napoléon, école dont un sicilien m’avait dit que son concours était le seul d’Italie qu’on ne puisse pas acheter. J’avais obtenu une bourse généreuse prenant en charge mon voyage, ma chambre dans un ancien hôtel racheté par l’école et mes repas. Je recevais également un peu d’argent de poche et des invitations aux concerts du Teatro Verdi. Rapidement, Piazza dei cavalieri, j’ai découvert avec délice les souterrains de la bibliothèque faisant communiquer les différentes ailes du bâtiment. Des salles immenses ou plus intimes, modernes et agréablement anciennes abritaient des milliers d’ouvrages tous plus passionnants les uns que les autres, tous en accès libre. J’ai passé mes journées entre les rayonnages à me nourrir de cette manne. L’histoire aurait pu être parfaite sans la présence funeste des anormaliens. Ah non, pas les Italiens qui comportaient une proportion normale de gens charmants et de pédants. Non, je veux parler de mes chers compatriotes, comme dit le président, venant au cours de leur cursus profiter d’un échange entre les deux institutions sœurs. Pour la plupart, ils ne parlaient pourtant pas italien mais à quoi bon faire l’effort d’apprendre la langue du pays pour suivre des cours en italien ? Quand on est l’élite de la nation, on ne se préoccupe pas d’un détail aussi trivial, d’ailleurs on ne vient pas pour étudier, on vient pour cultiver son réseau, pour se rengorger entre gens de bonne compagnie.

Mais la compagnie, on me permettra de l’avoir plutôt trouvée mauvaise ! Les anormaliens se sont vite révélés êtres insupportables, prétentieux, toujours, peu équilibrés parfois. Ah elle avait une belle gueule l’élite nationale !! L’image parfaite de l’arrogance française ! Il y avait celle qui pendant des mois, à tous les repas, avalait invariablement trois assiettes géantes de carottes râpées, boudant ostensiblement la délicieuse pasta de la cantine. Il y avait la folle furieuse, à qui, un de mes professeurs français avait donné mon nom. Merci du cadeau, je n’avais jamais côtoyé pareil poison. Elle ne m’a plus lâchée pendant des mois, me faisant l’insigne honneur de s’intéresser à moi qui n’était pourtant pas issue de la prestigieuse école française. Elle m’empêchait consciencieusement d’écouter  les cours, me mortifiait devant les Italiens par son sans-gêne et sa suffisance. J’ai souvent eu envie de l’assumer avec la première enclume venue et j’ai finalement préféré la fuir avec méthode. Un jour, la veille de mon départ, elle est venue s’asseoir à côté de moi, m’a expliqué que tout le monde se détournait d’elle, qu’elle était fort déçue de la manière dont elle avait mené ses relations humaines. L’arrogante en chef était soudain prête à se prosterner à mes pieds, elle me suppliait presque de la laisser m’accompagner à la gare, de porter mes valises, voulait me faire promettre de venir la voir à Paris, pas de problème elle pourrait m’héberger dans sa chambre de l’Ecole Normale. Merci bien, j’aimais encore mieux un hôtel miteux, c’était pathétique ! La langue de vipère avait perdu de sa superbe. A mon retour j’ai ironiquement remercié celui qui me l’avait adressée. Excusez-moi, me dit-il, je crois en effet qu’elle a quelques problèmes psychologiques et je ne l’avais pas remarqué tout de suite. Psychologiques peut-être mais surtout humains. Je me souviens de ce déjeuner à la cantine, au cours duquel elle a appris qu’un jeune anormalien parisien allait épouser une roturière, en tous cas, une jeune femme qui n’était ointe du saint chrême de l’Ecole Normale. Elle a rougi, pâli à cette annonce, s’est levée comme si elle avait vu le diable en s’écriant « c’est impossible, il faut immédiatement que j’aille avertir certaines personnes de l’école, c’est impossible !!!». On était en pleine tragédie grecque, j’ai hésité entre m’étouffer de colère ou de rire tant la situation était effarante. Car je dois préciser que la sœur de la future mariée, la responsable de la mésalliance, était assise à notre table. Si la fiancée dénigrée avait été ma sœur, je crois que j’aurais volé dans les plumes de l’anormalienne.  Comble du grotesque, 3eme dimension, XIXe siècle, nef des fous !

Et il y avait tous les autres. Ceux qui ne vous abordaient pas en vous demandant votre prénom, en disant « Tiens, tu es Française ! », « Fait beau, hein ? », « C’est quoi le menu aujourd’hui ? ». Non il vous posaient, avec des mines entendues la fameuse question : « Ulm ou Fontenay ? ». La première fois, je me suis demandé pourquoi on me proposait de choisir entre une ville allemande et une abbaye bourguignonne. La niaise, la naïve totale, la provinciale égarée au milieu de l’élite. La question était de savoir de quelle école normale je venais, celle de la rue d’Ulm ou de Fontenay. Quand j’ai répondu que je préparais mon doctorat dans une université, on m’a regardée comme si j’avais annoncé que j’étais atteinte de la variole, du sida, de la peste et de la grive aviaire réunis. On me jetait un regard dans lequel se mêlaient le mépris et le dégoût, dégoût d’avoir daigné adresser la parole à quelqu’un n’appartenant pas au cénacle. Je ne parle même pas du fait que je prononçais rue d’Ulm, rue D’Oulm à l’Allemande, ce qui me valait d’être reprise par des « tu veux dire rue d’UUUlm ». Je me souviens de cette rouquine à lunettes bien moins avancée que moi dans ses études. Elle avait posé sa question à la con, pleine d’entrain, prête à agrandir son réseau. Elle a écouté ma réponse, son visage s’est figé comme si je venais de la gifler ou de la couvrir de boue. Elle m’a toisée et, sans un mot, elle s’est retournée et ne m’a plus jamais adressé la parole. Et malgré toutes les exceptions qui existent sans doute, je lui ai trouvé une foutue sale gueule à l’élite de la nation.

Ce séjour en Italie, ça ressemblait presque au Paradis, dommage qu’il ait fallu se taper la présence du peuple élu.  Et à propos de Paradis, quand les anormaliens viennent de mourir, on ne manque pas de rappeler leur appartenance à la sainte tribue dans les carnets du Monde, M. X, anormalien, a été rappelé à Dieu. Histoire d’avertir Dieu, que là haut, ça serait bien de réserver une salle spéciale à l’élite de la nation pour qu’elle ne gâche pas son éternité à manger des pommes avec la plèbe, pour qu’elle puisse continuer à se rengorger et à demander « Au fait, cher ami, Ulm ou Fontenay ? ».

images_2

Quel enfer !

Dr Stone

Publicité
Publicité
Commentaires
A
Eh oui, je fais partie de cette bande... Et franchement, j'ai honte. Le portrait est à peine caricaturé... C'est triste... Mais on peut aussi en souffrir de l'intérieur, lorsqu'on est différent...
M
Pour une non blogueuse avérée, chapeau bas. Tes articles sont de vrais bijoux. <br /> Je crois me souvenir que mon propre père fait partie de la grande maison des A normaliens. Ni UUUUlm ni Fontenay mais Saint Cloud si mes souvenirs sont bons. J'espère que s'il passe sur le blog il s'exprime sur le sujet. Son point de vue serait interessant.
F
Anormalien: "-Ulm ou Fontenay? <br /> Fab - "Down"! "Rue Down"... he he!<br /> <br /> Un plaisr ce billet, encore!!!!
D
décidément tes talents d'écriture et ton aisance dans ce domaine m'impressionnent! tu pourrais, haut la main, concurrencer une certaine Amélie Nothomb! si l'histoire de l'art ne t'ouvre pas ses portes tu pourras toujours pousser celle d'un éditeur avec "ta magnificence linguistique " et ton imagination fertile!
Publicité